maandag 26 december 2011

Vatican: la succession est ouverte

A 84 ans, Benoît XVI présente quelques signes de fatigue et la Curie bruisse de rumeurs. Déjà deux cardinaux sont favoris.

Pour la première fois de son pontificat, le Saint-Père est apparu il y a un mois dans la basilique Saint-Pierre juché sur une estrade mobile poussée par les gentilshommes du palais apostolique. Inventé pour Jean-Paul II, l’engin permet au Pape de remonter sans peine l’allée centrale. Cette vision inhabituelle de Benoît XVI a, bien sûr, intrigué les dignes membres du Collège cardinalice, d’autant que le porte-parole de la salle de presse du Saint-Siège, le père Federico Lombardi, a cru bon d’expliquer que c’était «juste pour épargner de la fatigue au Saint-Père» et qu’«aucune douleur ou indication médicale ne l’avait contraint à utiliser cette estrade mobile». Depuis, on ose parler sotto voce de succession, avec un Pape de 84 ans qui, souhaitant limiter ses activités publiques solennelles, a fermement indiqué à ­Alberto Gasbarri, le responsable de ses voyages, qu’il ne fallait désormais lui organiser aucun déplacement de plus de quatre jours. «Sa Sainteté est sous une bulle, comme anesthésiée, ayant fort peu de contact avec le monde extérieur», raconte sans complaisance un haut prélat. Alors, comment éviter que ne se pose la délicate et sacro-sainte question des papabili ?

Difficile d’imaginer le portrait-robot d’un prochain pape.

Les futurs grands électeurs, princes de l’Eglise à la tête des divers dicastères romains et cardinaux du monde entier, évitent les déclarations publiques, même chez eux. Contrairement à ce qui se passe dans la vie civile, un éventuel candidat au Poste Suprême ne doit pas seulement, de nos jours, occuper une tribune prestigieuse, intervenir opportunément dans le débat public de son pays et être diplomate, mais surtout ne jamais poser pour des journaux, afin de ne pas donner l’impression de se présenter en potentiel successeur du 266e prince des apôtres. Du grand art! Arriver à photographier, il y a quelques jours, deux éminents personnages qui se profilent à l’ombre de la place Saint-Pierre, les cardinaux Angelo Scola et Peter Erdö, a donc été un exploit pour Paris Match. La nomination du premier, nouveau cardinal ­archevêque de Milan, à la tête du plus grand diocèse du monde avec 1.107 paroisses et 4,8 millions de baptisés, obéit à un critère de proximité personnelle et intellectuelle avec Benoît XVI. Le second, cardinal archevêque d’Esztergom-Budapest, est primat de Hongrie. Ce sont les figures discrètes d’un Vatican dormant, et on murmure de plus en plus, derrière la porte de bronze, que l’un des deux pourrait un jour devenir pape.

Comme l’explique un des cardinaux très en cour et au cœur du système, "si le facteur temps sera déterminant pour tenter d’imaginer le prochain conclave, il faut procéder par élimination. Le continent asiatique, et 9 cardinaux, avec une Eglise très minoritaire, souvent persécutée, paraît exclu. Tout comme le sous-continent indien, qui ne compte que deux cardinaux. L’Australie, avec un seul représentant, paraît hors course. L’Afrique, dont actuellement peu de personnalités émergentes (en dehors de Son Eminence ghanéenne Peter Turkson), connaît beaucoup de problèmes. Par ailleurs, il n’est pas rare que des prêtres africains aient secrètement fondé une famille... Il y a donc peu de chances qu’un membre de ce clergé chaleureux, porte un jour la chasuble papale. Les Etats-Unis représentent une telle puissance qu’on a du mal, au Vatican, à même en envisager l’idée. Quant à l’Amérique latine, une personnalité aussi remarquable qu’Oscar Andres Rodriguez Maradiaga, seul cardinal du Honduras, président de Caritas Interna­tionalis et archevêque d’un pays tout petit et corrompu, s’il reste un outsider, est d’abord le candidat des journalistes, car nous autres considérons cet esprit libre un peu trop à gauche. De plus, dans ce continent où se trouve la majorité des catholiques de la terre, il y a peu de solidarité entre les cardinaux mais un sourd esprit de compétition ». C’est pourquoi la vieille Europe pourrait à nouveau, le moment venu, abriter le futur Souverain Pontife, élu parmi les 109 cardinaux, eux-mêmes électeurs (sur les 192 qui se répartissent dans le monde, dont 47 dans la seule péninsule et 23 Italiens électeurs).

Une fois éliminés les pays d’Europe qui ont voté le mariage homosexuel, ou bien ceux où l’Eglise a subi de terribles problèmes, tels l’Irlande, l’Espagne, la Hollande... par ailleurs sans personnalités marquantes, on arrive au cardinal hongrois Peter Erdö. Vice-benjamin du Collège cardinalice, et réélu le 30 septembre 2011 pour la deuxième fois par 33 conférences épiscopales et quatre indépendantes. Ce Transylvanien fort populaire, dont Jean-Paul II avait fait, en 2002, à 51 ans, son benjamin parmi les cardinaux, est président du Conseil des conférences épiscopales d’Europe (CCEE). Venant d’un pays très pratiquant, il est à la tête d’une influente tribune géopolitique qui lui donne régulièrement l’occasion d’intervenir dans les grands débats publics, sur les importantes questions de ce début de XXIe siècle : le combat contre la pauvreté, les causes de la crise économique mondiale qui relèvent, selon lui, de la nature profonde de l’être humain et pas seulement des chiffres… Il rencontre aussi les chefs d’Etat, impressionnés par son allure de prince de l’Eglise, par sa vaste connaissance de l’Europe et de ses langues. Il en parle sept. De fait, même si ces derniers ne votent pas au conclave, certains ont un réel ascendant sur les cardinaux de leur pays… Erdö est docteur en théologie et droit canon, a fait de la recherche à l’université de Berkeley en Californie. Lorsque je lui ai demandé comment il voyait son avenir, il m’a répondu dans un français parfait: «L’essentiel est pour moi d’annoncer l’Evangile dans les grandes villes où la relation humaine s’appauvrit. Car, malheureusement, la foi chrétienne déserte les métropoles européennes et l’Eglise semble absente des enjeux de l’urbanisation.» Il n’en dira pas plus. Comment, cependant, ne pas noter qu’ayant fait l’unanimité au sein du CCEE, nombre de ses pairs pourraient à nouveau, le jour venu, voter pour lui ?

Le nouveau pape devra remotiver les jeunes. Les vocations diminuent
Parcours sans fautes et insolite également que celui d’Angelo Scola, au prénom prédestiné. Ce fils du peuple, dont le père camionneur lisait « L’Unita », ­naguère la bible du prolétariat italien, a la distinction des princes de l’Eglise de jadis et vient de quitter la cité des Doges et la basilique Saint-Marc pour le duomo de Milan. Pour « gouverner » cette enclave religieuse de l’épiscopat italien presque aussi importante que le Vatican. Un défi pour ce Lombard qui collaborait dans les années 70 à «Com­munio», la revue théologique de référence à l’époque, dont Joseph Ratzinger était l’une des grandes signatures. Aussi travailleur qu’habile et déterminé, Scola a un seul défaut aux yeux des catholiques et de certains cardinaux : celui d’avoir, dans le passé, affiché une proximité avec Communion et ­Libération, mouvement milanais de 100 000 membres et puissance politique économique et intellectuelle ancrée dans le catholicisme social italien. Cet homme brillant, parlant quatre langues, créé cardinal en 2003 par Jean-Paul II, a un tempérament très politique. Il s’est, dit-il, éloigné de cette mouvance, et sait à quel point ce lien qu’il tâche de faire oublier divise au sein même de son Eglise lombarde. Mais il va de l’avant, pratiquant l’évangélisation tout en s’impliquant dans le monde culturel et la catéchèse sociale.

Ses années de recteur de l’université pontificale du Latran lui ont appris à articuler réflexion et action. Lorsque je lui ai demandé s’il aimerait devenir le 267e pape, il m’a répondu avec panache que «la première mission du cardinal n’est pas d’élire le Souverain Pontife mais, comme le symbolise le rouge de notre robe, d’être prêt à donner son sang pour l’Eglise». Puis, imperturbable, il a ajouté: «Tout est entre les mains de la providence, et il y a parfois des accidents de l’histoire...». Le nouveau pape devra remotiver les jeunes car, en cinq ans, les vocations ont vertigineusement diminué. Il lui faudra se prononcer sur les unions des homosexuels, la bioéthique, le recours au préservatif dans certains cas, les divorcés remariés souhaitant communier, le ­célibat des prêtres, la consécration d’hommes mariés, l’euthanasie… Autre sujet essentiel, la gestion du gouvernement de l’Eglise. Doit-elle être toujours aussi pyramidale, avec l’autorité souveraine de l’évêque de Rome, ou plus collégiale ? Benoît XVI interfère rarement dans l’alchimie complexe des affaires internes de la Curie romaine et modestement sur les questions étrangères, décourageant en cela les nonces (ambassadeurs du Vatican aux quatre coins de la terre), aujourd’hui au nombre de 180 (un par pays), qui, lorsqu’ils lui rédigent des notes pour lui faire part de leurs observations sur le terrain, ne reçoivent pas souvent de réponse…

Peter Erdö aurait un avantage car il n’a que 59 ans (Jean-Paul II a été élu à 58 ans) alors qu’Angelo Scola vient de fêter ses 70 ans… L’archevêché de Milan représente cependant un Etat dans l’Eglise. De fait, au XXe siècle, deux papes, Pie XI et Paul VI, vinrent de Milan, le plus imposant diocèse d’Italie, qui compte de nos jours 3 000 prêtres en exercice (l’équivalent d’environ un quart des prêtres français). De plus, il siégeait auparavant à Venise, et la Sérénissime a donné trois papes à l’histoire récente : Pie X, Jean XXIII et Jean-Paul Ier. Angelo Scola a donc la lourde charge d’avoir porté le titre si convoité de patriarche de Venise et d’être maintenant cardinal archevêque de Milan. Un cas unique dans l’Eglise de par la volonté suprême de Benoît XVI, qui en a fait un personnage aussi incontournable que prestigieux. D’ailleurs, pour le mettre en lumière davantage, Sa ­Sainteté, qui s’était rendue à Venise en mai dernier et avait même navigué dans une gondole spécialement repeinte en blanc sur le Grand Canal avec son patriarche, lui rendra de nouveau visite au duomo de Milan, cette fois, le dimanche 3 juin 2012, à l’occasion de la VIIe rencontres mondiale des familles. Ce qui ­signifie être par deux fois, en un peu plus de douze mois, au côté de son « candidat ». Tous les regards seront à nouveau tournés vers Angelo Scola, car il s’agit là d’une forme de consécration, en quelque sorte une désignation officielle. La figure montante de l’Eglise catholique. Ainsi que le souligne le cardinal Tucci: «Si l’on est subtil et ambitieux, Milan donne des ailes. Et ici, tout commence en mystique et finit en politique...»
(Source: Paris Match, 25 december)